SOMMAIRE
Boris VEJDOVSKY, Lucy PERRY et Kirsten STIRLING - Avant-Propos (p. 5-6)
Boris VEJDOVSKY - Corps intermédiaires. Notes pour une grammaire contemporaine du corps (p. 7-16)
Kirsten STIRLING - “You can take the girl out of Scotland…” Critical approaches to gender and nation (p. 17-32)
À l’instar de Hélvétia ou Britannia, la représentation allégorique de la nation dans le corps d’une femme est un trait marquant de l’iconographie nationale et de la littérature écossaise. Une partie importante de la critique féministe contemporaine a battu en brèche cette figure qu’elle juge inacceptable car l’élévation symbolique de la femme va de pair avec le rabaissement et l’impuissance politique des femmes réelles. Pourtant, de nombreux textes, y compris des textes empreints de théorie féministe, qui s’attachent à déconstruire l’idéologie nationaliste patriarcale et conservatrice, ont tendance à utiliser des motifs rappelant ces figures allégoriques. Cet essai démontre comment le rapprochement entre les théories du genre et celles de la nationalité risque de reproduire les images parallèles de la nation et de la femme en tant que victimes, ce qui ramène une fois de plus à l'iconographie traditionnelle et conservatrice.
Denis RENEVEY - Le pouvoir de la voix masculine. Le cas de la version en moyen-anglais du Miroir des simples âmes de Marguerite Porete (p. 33-54)
Ce travail démontre dans sa première partie que le texte français du Mirouer est caractérisé par une écriture féminine. En seconde partie, le travail propose une nouvelle lecture de la version en moyen-anglais de ce texte. La thèse proposée ici démontre que la personne qui est responsable de la traduction et des gloses s’approprie le texte afin de l’intégrer dans la culture religieuse masculine de l’Angleterre du Moyen Âge tardif.
Boris VEJDOVSKY - Man enough. Masculinity and the novel in Henry James’s “the art of fiction” (p. 55-76)
Véritable Poétique du roman, « The Art of Fiction » est un essai où se croisent de nombreux thèmes Jamesiens. L’auteur de Portrait d’une femme y présente un panégyrique du roman, dont la tâche est, dit-il, de faire concurrence à la nature. Dans la compétition à laquelle se livrent la création naturelle et celle du romancier, James cherche à établir l’étalon d’une écriture masculine qui pourrait sortir vainqueur de la confrontation et s’imposer au monde. On voit se dessiner là, non seulement les angoisses liées à la masculinité de l’ère victorienne, mais aussi une histoire de la sexualité constituée, à l’intérieur des traditions platonique et aristotélicienne de l’art, par l’opposition entre le « réel » et la « fiction »; c’est l’opposition qui mime la tension entre le masculin et le féminin, et dont est issu l’art du roman.
Martine HENNARD DUTHEIL DE LA ROCHÈRE - Le cannibale dans The Coral Island. Anxiétés coloniales dans le roman d’aventures victorien (p. 77-96)
The Coral Island, l’un des romans d’aventures pour la jeunesse les plus populaires au dix-neuvième siècle, véhicule l’idéologie coloniale triomphante d’un empire britannique en pleine expansion. La figure du cannibale, qui sert de prétexte à un véritable délire manichéen, sert à légitimer cet esprit de conquête. Pourtant, en cristallisant les fantasmes projetés sur l’altérité, le cannibale révèle les contradictions qui minent le discours impérialiste, et met au jour la profonde anxiété qui hante la mythologie blanche à travers laquelle les Européens cherchent à se persuader de leur supériorité raciale, morale et culturelle.
Neil FORSYTH, Martine HENNARD DUTHEIL DE LA ROCHÈRE - Création et incarnation. Lectures et relectures du corps miltonien chez William Blake et Mary Shelley (p. 97-120)
Une exposition récente de ses peintures et dessins montre à quel point William Blake était fasciné par le corps et sa représentation. Nous allons voir ici comment, pour Blake, l’art est un acte à la fois symbolique et charnel. Cette conception se retrouve dans sa poésie, en particulier dans « Le tigre », qui illustre les relations entre le travail du corps et celui de l’esprit. La nature et les raisons de cette fascination s’éclairent si l’on considère l’intérêt de Blake pour les idées révolutionnaires, et sa lecture passionnée des textes occultes et hérétiques. Son interprétation audacieuse de son grand précurseur poétique, John Milton, est plus révélatrice encore d’une vision de la création liée au corps et à la sexualité. À son tour, Mary Shelley poursuit l’idée de la création humaine comme un enfantement dans Frankenstein.
Ian MACKENZIE - Body language. The kinaesthetics of thought (p. 121-132)
Le « Standard Social Science Model » (modèle standard des sciences sociales) a prétendu pendant longtemps que chaque culture avait ses propres normes arbitraires, entièrement libres des contraintes d’une supposée nature humaine universelle. Pourtant ce relativisme culturel est mis en question par des recherches de psychologie cognitive qui démontrent l’existence de capacités universelles de cognition et de perception. La couleur, la forme, la grandeur et l’orientation spatiale semblent être traitées par l’appareil perceptif humain de façon invariable, donnant naissance à des principes universels de catégorisation et de nomenclature. De nombreuses métaphores conceptuelles et d’orientation issues de l’expérience corporelle viennent confirmer l’existence de tels principes au niveau du langage. À cet égard, l’anglais semble être une langue particulièrement « corporelle » avec un immense répertoire d’idiomes se rapportant au corps, tels les « phrasal verbs » qui expriment leur sens en termes de sensations et de perceptions.
Margaret WICKINS LYNCH - Corporalite et signifiance dans le Purgatorio de Dante (p. 133-144)
Trop longtemps, on a voulu voir dans le voyage de Dante dans l’autre monde une quête spirituelle dans laquelle les besoins, les pulsions et les désirs du corps ne tiendraient aucune place. Cet essai propose de remettre en question une stricte dichotomie entre le corps et l’âme dont on a cherché à faire une des articulations du monde médiéval. De cette incarnation du verbe dantesque, il résulte une humanité et une émotion qui sont une véritable invite à la (re)découverte d’un des textes essentiels du corpus médiéval.
Peter HALTER (Traduction Boris VEJDOVSKY) - L’art comme imitation de la vie, ou la vie comme imitation de l’art ? Jeux de réflexions dans « The Story of a Masterpiece » de Henry James (p. 145-162)
« The Story of a Masterpiece » est une leçon de lecture de l’esthétique jamesienne. Le récit présente l’étroite imbrication d’une économie du désir et de la sensualité artistique avec l’économie financière et sociale régissant le mariage bourgeois du XIXe siècle. Dans ce texte où les corps s’offrent au désir ou se vendent au plus offrant, ces deux économies qui se font face sont reflétées dans la double représentation de l’art du peintre et de l’écrivain. Doubles redoublés, plis et replis stratégiques où le corps tente sans y parvenir de se dissimuler, voilà autant d’éléments mystérieux de ce fascinant récit.