Dr Théodore Besson

En parallèle d’une thèse à la Faculté des géosciences de l’environnement, Théodore Besson a développé une société de conseil en management environnemental et a cofondé une start-up sur le développement de technologies liées à la préparation de l’exploration humaine de l’espace.

Entre Terre et Espace, recherche et entrepreneuriat, il partage avec nous son expérience sur la manière de jongler entre plusieurs mondes et de les fédérer.

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En quoi consiste votre poste actuel ?

Je suis actuellement directeur d’une start-up que j’ai cofondée, ESTEE (Earth Space Technical Ecosystem Enterprises SA). La mission d’ESTEE est de faciliter à la fois la vie durable sur Terre et l’exploration humaine de l’espace. D’après moi, le développement des systèmes de support-vie dans l’espace a un rôle moteur à jouer pour la mise en œuvre de la durabilité, et d’une économie plus circulaire, dans la perspective de l’écologie industrielle.

En parallèle, je suis chargé de cours à l’EPFL, à la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), dans le cadre de l’Unité d’enseignement « Habiter Mars ». Des étudiants de trois sections (architecture, génie civil, science de l’environnement) y ont notamment pour tâche d’élaborer un système de support-survie d’une base planétaire sur Mars, en se distribuant différents rôles selon leur intérêt et leurs compétences. Le design de la base ne doit pas être trop gourmand en matériaux – la masse à embarquer étant le facteur limitant des missions longue durée – et exploiter les ressources à disposition de manière optimale. C’est très formateur et stimulant de se projeter dans ce genre de conditions, tout à fait « autre ». Pendant mes formations, j’étais d’ailleurs enseignant en parallèle de mon bachelor et de mon master – tant au niveau primaire-secondaire, que pour préparer les étudiants aux examens préalables de l’UNIL –, pour subvenir à mes besoins, mais aussi parce qu’enseigner m’a toujours passionné.

Quel parcours vous a mené jusqu’à votre poste actuel ?

À la base, je suis biologiste. J’ai fait mon Master au Département de biochimie à l’UNIL, un laboratoire très compétitif, avec des gens visionnaires et brillants (et des bourreaux de travail !). Mais pour moi qui n’étais pas attiré en premier lieu par la carrière académique, ce milieu n’était pas assez professionnalisant.

En attendant de trouver un financement pour mon doctorat, j’ai ensuite fondé une société de conseil en management environnemental et écologie industrielle (STEM conseil). Dans mon travail de consultant, j’ai accompagné des organisations publiques ou privées dans leur mise en œuvre de bonnes pratiques de gestion environnementale (notamment dans le cadre du programme Cité de l’énergie de SuisseEnergie).

À l’époque, comment avez-vous choisi de faire un doctorat à la FGSE ? Qu’est-ce qui vous a motivé dans cette voie ?

Par curiosité personnelle. À la fin de mon postgrade, j’ai découvert le travail de Suren Erkman, qui venait d’être nommé à l’UNIL. Biologiste de formation, il a suivi lui aussi un parcours non académique – ancien journaliste scientifique et consultant –, avant de rejoindre l’UNIL en 2005. J’ai lu son livre Vers une écologie industrielle, que j’ai trouvé absolument fascinant : il combinait des perspectives sur le fonctionnement de la nature et l’amélioration des systèmes industriels. Cette thématique a fait l’effet d’une révélation. Elle me tenait à cœur, car elle concordait bien avec mes compétences et aspirations professionnelles. J’ai tenté le coup, j’ai rencontré le professeur Erkman pour lui proposer de faire des projets avec lui, et notamment en vue d’un doctorat me permettant de combiner mes acquis ! Dès le départ, mon but n’était pas de poursuivre avant tout une carrière académique. J’avais surtout envie d’aller jusqu’au bout d’un sujet qui me passionne, dans le cadre d’un travail original de doctorat, et avec une forte orientation multidisciplinaire.

Nous n’avons pas trouvé de solution de financement immédiate, mais la perspective de collaborer avec l’Agence spatiale européenne sur la thématique des écosystèmes clos artificiels a intéressé le rectorat de l’UNIL. J’ai donc d’abord été embauché comme chargé de recherche, avant de commencer formellement un doctorat en tant qu’assistant-doctorant. Ma mission était d’identifier les synergies possibles entre la préparation des missions sur Mars et les recherches à l’UNIL – et dans d’autres universités et écoles d’ingénieurs de Suisse romande –, dont les activités paraissent a priori déconnectées du spatial. Grâce à ce travail, l’UNIL a rejoint un consortium autour de ces thématiques. Réussir à fédérer la communauté autour de sujets captivants comme les systèmes de support-vie spatiaux était très motivant.

En quoi a consisté votre recherche doctorale et quel est son rapport avec votre poste actuel ?

J’ai travaillé (et je travaille toujours) sur la convergence de deux domaines de recherche principaux – l’écologie industrielle et les systèmes de support-vie. L’idée est de faire interagir les recherches issues des deux mondes.

Concrètement, si une solution pour recycler l’urine est développée pour les conditions spatiales extrêmes, il y a des applications terrestres directes : par exemple dans la conception de toilettes séparatives, comme à l’EPFL où les urines sont revalorisées sous forme d’engrais. À l’inverse, des méthodes écotoxicologiques de diagnostic de l’état de l’eau, des bactéries aux toxines, et des technologies de monitoring de la santé humaine pourraient aussi être transférées dans le spatial. Plus globalement, l’équipage qui se prépare sur Terre à une mission spatiale a tout intérêt à s’habituer à la vie en milieu clos – doté d’un écosystème clos artificiel, sorte de mini biosphère – en s’entraînant dans un simulateur au sol dont on ferme la porte pendant plusieurs mois (les scénarios traditionnels de mission sur Mars durent généralement 1000 jours).

Ce qui est génial dans ce genre de démonstrateur, c’est que l’on est poussé à maitriser quasi toutes les expositions sur les êtres vivants (ou l’« exposome »). On sait exactement ce que les gens mangent, on peut suivre l’évolution de leur microbiote, l’état de santé des plantes et la composition de l’atmosphère intérieure, etc. Les études dans ces simulateurs touchent ainsi beaucoup de domaines de recherche : la génomique, la métabolomique, les biogéosciences, la psychologie, la microtechnique, la télémédecine… Pour ma part, je me suis particulièrement intéressé à cartographier les aspects liés à l’écologie industrielle (« cycle de vie », des bilans de matière), aux sciences de la vie, aux technologies de l’information et de la communication et enfin au volet des habitats clos, durables, sains et autosuffisants.

D’autre part, le micro-habitat dans lequel l’homme évolue en autarcie sur des périodes prolongées peut être vu comme l’unité minimale d’un habitat, comme la cellule serait l’unité de la vie. Les fonctions d’un écosystème clos artificiel (photosynthèse, respiration, oxydation, cycles du carbone et de l’azote, pour ne citer qu’eux), et donc les flux (eau, air, déchets), s’y déploient à petite échelle et de manière accélérée par comparaison aux écosystèmes naturels traditionnels. Ce qui m’intéresse toujours aujourd’hui, c’est qu’il est possible d’extrapoler, et d’appliquer ces résultats à plus grande échelle, comme celle d’un grand bâtiment, d’un site industriel, voire même d’une ville ou d’un territoire.

Quand vous considérez votre parcours, rétrospectivement, quelles sont vos réflexions ?

Dès le début de ma thèse, je travaillais en parallèle comme consultant en gestion de l’environnement en tant qu’indépendant, puis dans une société de conseil en innovation. Quelques années ont passé (je n’étais assistant-doctorant qu’à 50% !), et le Prof. Erkman m’a fait rencontrer quelqu’un qui trouvait ma thématique de recherche enthousiasmante et qui avait la capacité et la volonté de financer une société. J’ai donc saisi cette opportunité et cofondé ESTEE avec lui.

Au début de ma thèse, jongler entre plusieurs jobs a été un véritable challenge quotidien. Le coup de stress peut venir parfois de deux côtés en même temps ! Ce n’est pas non plus facile de finir une thèse en parallèle d’une activité professionnelle… et familiale (mes deux enfants avaient 9 et 11 ans quand j’ai défendu mon doctorat !). Mes choix professionnels ont évidemment eu un impact sur mon doctorat, qui s’est échelonné dans le temps. Mais cela vaut le coup, car cela permet une fertilisation mutuelle. J’ai appris à développer des synergies, à tout niveau. Par exemple, j’ai mis en œuvre des projets conjoints entre ma recherche à l’UNIL et ma start-up, en intégrant des thématiques d’appels d’offres de l’Agence spatiale européenne. Un travail de doctorat peut ainsi être combiné et magnifié par un projet entrepreneurial développé en parallèle.

Quelles sont les compétences essentielles à l’exercice de votre activité professionnelle actuelle ?

Créer une entreprise, cela signifie trouver des locaux, engager et former du personnel, développer des partenariats et une commerciabilité à terme… et maintenir cela dans la durée. Lors d’un travail de doctorat, il faut aussi savoir saisir des opportunités qui ne se planifient pas forcément, puis avoir conscience de l’organisation que cela implique, et de certaines conséquences à long terme qu’on n’identifie pas forcément tout de suite. Il faut également être capable de débloquer du temps, faire parfois des sacrifices, et en fin de compte faire preuve de ténacité ! Mais cela en vaut clairement la peine lorsque la thématique est inspirante au quotidien et sur la longueur !

Entretien publié le 1er mai 2023.

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