Dre Lily Bossin

Dès la sortie de son premier postdoctorat à la Faculté des géosciences et de l’environnement (FGSE), Lily Bossin a obtenu un poste de chercheuse à l’institut Paul Scherrer (PSI). Une chance, dit-elle, mais aussi un défi de gestion d’équipe et de communication.

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En quoi consiste votre poste actuel au PSI ?

Je suis chercheuse, mais avec des missions quelque peu différentes de celles d’une chercheuse à l’université.

Je consacre 50% de mon temps à une mission de service, portant sur les mesures dosimétriques par luminescence. Cela consiste en un travail de routine, mais aussi à superviser une équipe de techniciens, perfectionner la technique, et communiquer avec les autorités mandataires – principalement l’OFSP (office fédéral de la santé publique) quand il s’agit d’installations de recherche et l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire) pour les réacteurs nucléaires. Nous sommes aussi les seuls experts en Suisse capables de mesurer des neutrons. Donc, nous travaillons pour le CERN et d’autres accélérateurs en Europe.

Pendant l’autre moitié de mon temps, ma recherche est personnelle, je suis très libre. J’aime développer des matériaux capable de mesurer les radiations, que j’essaye de caractériser de manière fondamentale. Je voudrais développer des vêtements sensibles aux rayonnements : ce serait très utile pour les personnes exposées à un risque – même faible – de radiation ionisante.

Contrairement à l’université, en tant que chercheuse ici, je n’ai pas de mission d’enseignement. Le PSI est un centre de formation, mais il s’agit de cours pour des professionnels qui travaillent avec les radiations.

Qu’est-ce qui vous plait dans ce poste ?

Très peu d’endroits dans le monde donnent accès à autant d’infrastructures, à une telle concentration ! Protons, photon, neutrons, muon, je peux obtenir relativement facilement du temps de faisceau pour mes recherches. J’aime progresser constamment. Je savais que j’apprendrais beaucoup dans cette équipe, car je connaissais mon chef actuel, qui était examinateur de ma thèse. Je ne m’étais pas trompée.

Le PSI est un institut de physique, mais aussi multidisciplinaire. Je collabore facilement avec des collègues qui perçoivent des applications médicales, par exemple en radiothérapie pour le traitement du cancer. Mais il y a aussi de la géologie et de la chimie. J’apprécie cette diversité.

Quelles compétences avez-vous développées à la FGSE ?

Mon projet de postdoc était de développer une technologie. Grâce à mon expertise en physique, j’ai aidé à établir un laboratoire de résonnance paramagnétique, à implémenter et calibrer des sources rayon X.

J’étais très indépendante, donc j’ai commencé à apprendre le management d’un projet sur le long terme, à prévoir toutes les phases. Et comme j’apportais une expertise que personne n’avait, j’ai dû apprendre à prendre des décisions. Cette étape a été très utile.

Pendant votre doctorat et votre postdoc, vous êtes-vous préparée à votre rôle actuel de cheffe d’équipe ?

Il y a une grande différence entre mon postdoctorat et le poste à PSI. On est sans doute jamais vraiment préparé pour ce genre de transition !

Ce qui m’a marqué sur l’entretien d’embauche, c’est que j’avais préparé quelque chose de très académique – sur mes projets de recherche. Mais le jury sait déjà que notre recherche est bonne, de par nos publications... Il est vite arrivé sur des questions comme « Comment allez-vous résoudre les conflits dans votre équipe ? », « Comment faites-vous face à des défis difficiles ? ». Je n’étais absolument pas préparée à ce genre de questions. Je n’ai pas été très brillante ! [rire] Que l’on aille dans l’industrie, ou que l’on continue dans une carrière académique, ce sont pourtant des questions auxquelles il faut se préparer. Ça ne s’improvise pas !

Qu’avez-vous appris en travaillant dans cet institut de recherche ?

Au PSI, j’ai découvert un côté « entreprise ». Cet institut est tourné vers la transition technologique. Il accueille de nombreuses start-up et vise à amener la recherche fondamentale vers l’application. C’est la philosophie. J’ai dû apprendre cette mentalité, une approche plus industrielle, que je n’avais pas du tout.

Par exemple, ici, tout est documenté ; cela peut paraitre trop carré, mais en fin de compte, aucune expertise ne se perd ! Si quelqu’un part, on retrouve toutes les procédures qu’il utilisait avec leurs instructions extrêmement détaillées, dans un système centralisé. On n’utilise pas ce genre d’outil dans l’académique. À l’université, c’est une personne qui détient le savoir-faire, elle a peut-être les instructions dans ses notes, mais qui ne sont pas disponibles publiquement ou sauvegardées dans un système centralisé.

J’ai dû apprendre à tout documenter. C’est quelque chose que je ne faisais pas assez avant. C’est également important lors les meetings de supervision, pour avoir une trace de ce sur quoi on s’est mis d’accord et de ce qui a été discuté.

Quand vous considérez votre parcours, rétrospectivement, y a-t-il des choses que vous referiez autrement ?

J’ai eu la chance d’obtenir une position permanente assez jeune, j’étais prête au bon moment. Finalement, tout s’est bien passé pour moi, donc je pourrais dire qu’il n’y a rien à changer ! Mais je dois dire que j’étais très bien préparé sur le plan scientifique, pas du tout sur les soft skills. Jusque tard dans ma thèse, j’étais à fond dans la science, mais une carrière en science demande plus que la science... Il faut savoir communiquer, gérer une équipe. Ces aspects ne doivent pas être négligés. En début de carrière, je comprends que l’on ne veuille pas y consacrer de l’énergie, car cela joue un rôle moindre dans le recrutement. Mais il faut être conscient que dans tous les chemins de carrière, ces compétences de communication et de gestion vont jouer un rôle énorme. Avec ma bourse Spark, je me suis retrouvé avec mon premier postdoc relativement tôt. Un peu trop tôt pour moi au final. Je n’étais pas très contente dans ce rôle-là de superviser un postdoc plus âgé que moi.

Heureusement, maintenant, j’adore cet aspect du travail, qui est une grosse partie de ma mission. Avec le temps, je suis devenue à l’aise dans ce rôle de leader. Je connais bien mon expertise et celle de mon équipe. J’ai appris à mener de manière efficace les meetings de supervision, de projet. Ce qui aide, c’est que j’aime parler avec les gens et j’aime présenter en public.

Mais j’aurais sans doute pu mieux me préparer à cela. Ça a été un peu un choc pour moi de devoir apprendre tout cela d’un coup. J’ai suivi des formations de leadership gestion d’équipe, mais c’est beaucoup de grands mots – « Empower your team ». C’est bien que ces cours existent, mais ça ne prépare pas réellement aux vrais défis. Avoir un coach, quelqu'un qui me suive et me guide, aurait été plus utile pour moi. Mais y a-t-il des institutions qui proposent ce service ?

Et aujourd’hui, quels sont vos projets et aspirations professionnels ?

L’évolution de carrière est différente au PSI. Il n’y a pas de poste de professeur. Ici, j’ai vraiment le temps de faire mon 50 % de recherche personnelle, ce qui est un luxe, et n’est pas donné à tous les professeurs d’université !

Je peux aussi postuler à mes propres bourses, avoir mes financements, ça me donne assez de liberté pour faire ce que je veux. J’ai l’expertise pour développer de nouveaux outils, et donc je construis des collaborations avec des personnes qui travaillent à l’application. J’ai appris avec le temps qu’on gagne du temps à collaborer avec les personnes qui ont la bonne expertise. J’aimerais continuer à développer des instruments qui pourront avoir des applications, pourquoi pas en géologie !

Entretien publié le 31 mars 2023.

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