272 (2005/4) Comparer les comparatismes: perspectives sur l'histoire et les sciences des religions - Edité par Maya Burger et Claude Calame

L'histoire des religions autant dans ses procédés que dans ses concepts est fondée sur la comparaison. Tels le mythe, le sacrifice, l'initiation ou la purification, ces concepts comparatifs ont fini par être naturalisés dans une ontologie à prétention universelle. Des religions on en est revenu à la religion, pour le plus grand profit des théologiens chrétiens, protestants et catholiques, qui y ont trouvé une nouvelle légitimité académique. Raison supplémentaire pour revenir sur les démarches comparatives et pour en critiquer les effets totalisants: la comparaison s'impose comme méthode à condition d'être contrastive et différentielle. Elle induit un regard relativisant et décentré; ce regard oblique d'une part rend justice aux spécificités des manifestations et pratiques religieuses décrites dans leur diversité; d'autre part il est la condition même, en sciences humaines en général, d'une position critique, antidote indispensable aux replis disciplinaires et institutionnels de nos contemporains.Les contributions réunies ici à la suite d'une journée d'échange passée à comparer les démarches comparatives en histoire des religions entraînent lectrices et lecteurs des rites du polythéisme grec aux pratiques contemporaines du yoga, en passant par différentes prétentions universalisantes du monothéisme chrétien, par les pratiques de l'hospitalité en régime rabbinique et en hindouisme brahmanique, mais aussi par la question du salut individuel en philosophie néoplatonicienne ou en théologie augustinienne, par les gestes de la prière dans les religions amérindiennes et dans la mystique chrétienne ou par les prophétismes chrétien et musulman; ceci par le biais de méthodes comparatives se fondant sur une démarche historique, structurale, discursive ou cognitive.

SOMMAIRE

Les méthodes comparatives en jeu: remarques introductives sur l'histoire des religions

Maya BURGER & Claude CALAME - L'histoire et les sciences des religions: démarches comparatives (p. 5-8)

Yvan BUBLOZ - Le comparatisme en histoire des religions: entre tremendum et fascinans (p. 9-16)

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Nicola GASBARRO - Quelle comparaison en histoire des religions après Lévi-Strauss? (p. 19-40)

Cette contribution analyse la perspective actuelle du comparatisme à partir des présuppositions méthodologiques (Pettazzoni) et des points d'arrivée (Sabbatucci) de l'histoire des religions italienne. La conscience historique et critique de la dissolution de la notion universelle de «religion» s'interroge sur les possibilités méthodologiques données par l'anthropologie structurale, pour repenser l'objet intellectuel de la comparaison historico-religieuse. La notion d'«ordre des ordres» peut nous aider à comprendre les «religions» des autres par leur fonction de sens symbolique et de conduite pratique et existentielle. L'histoire des religions aboutit à une histoire comparée des civilisations, dont la nécessité civile est évidente.

Philippe BORNET - Entre rabbis et brahmanes. Exercices de comparaison (p. 41-74)

L'objectif de cet article est de proposer un exemple de comparaison entre deux contextes culturels géographiquement distants. Le sujet de la comparaison est le rapport entre l'hospitalité et la pratique des sacrifices dans des textes du judaïsme rabbinique et du brahmanisme ancien. Après une courte introduction théorique et une définition des termes, nous examinons, au sein du contexte juif rabbinique, le rapport entre l'hospitalité et le sacrifice «tamid» par la lecture de quelques textes rabbiniques. Il apparaît que l'hospitalité est un substitut valable, parmi d'autres, au sacrifice du Temple. L'hospitalité se conçoit volontiers comme un rituel, soumis à des règles spécifiques, et reprenant dès lors certaines fonctions (l'expiation, le rassemblement) du sacrifice. Dans le contexte brahmanique, le repas hospitalité semble être le modèle de certains rites solennels et l'hospitalité est considérée comme un sacrifice à part entière, un sacrifice domestique faisant partie des cinq sacrifices devant être pratiqués par le maître de maison. L'idée de partage également impliquée par l'hospitalité et le sacrifice explique en partie l'accent mis sur la notion de «reste», qui devrait idéalement composer chacun des repas d'un brahmane. La conclusion vise une comparaison «interculturelle» en faisant ressortir les spécificités de chacun des contextes, et en réexaminant l'usage fait des catégories.

Armin W. GEERTZ - Étude comparée des religions: réflexions sur la science, les universaux et la condition humaine (p. 75-112)

Cet article soutient que nous devons prendre de l'avance sans crainte dans la science analytique comparée de la religion. Beaucoup de travail est encore nécessaire pour affiner nos typologies, identifier les unités et structures fondamentales de notre savoir, et réanalyser les quantités de données que nous avons à disposition. Par ailleurs, nous devons être plus pleinement conscients du niveau sur lequel nous travaillons. Après une discussion sur les différences entre catégorisations cognitives et analytiques, l'article examine la «prière» comme une catégorie scientifique et illustre combien de connaissances peuvent être perdues ou ignorées non seulement par une pensée confuse, mais, plus important, par des hypothèses par défaut ad hoc. La conclusion est que les religions peuvent être difficiles à catégoriser dans des typologies nettes, mais l'analyse des systèmes symboliques ne l'est pas.

Yvan BUBLOZ - Augustin et Porphyre sur le salut: pour une comparaison analogique et non apologétique du christianisme et du néoplatonisme (p. 113-140)

Par l'application d'une méthode comparative de type analogique, c'est-à-dire focalisée sur la mise en évidence des ressemblances et des différences sur le plan de la structure et non de la généalogie, cette étude vise à souligner l'originalité respective des discours sotériologiques développés dans La Cité de Dieu d'Augustin et dans l'oeuvre du philosophe néoplatonicien Porphyre. L'examen de la notion de salut dans la littérature théorique de l'histoire comparée des religions permet de dégager trois axes de comparaison: il s'agit de s'interroger sur 1) l'évaluation de la condition humaine chez Augustin et Porphyre, 2) sur les causes avancées par l'un et l'autre pour expliquer la souffrance de l'homme dans le monde, 3) sur les moyens qu'ils proposent pour y remédier.

Ute HEIDMANN - Épistémologie et pratique de la comparaison différentielle. L'exemple des (ré)écritures du mythe de Médée (p. 141-160)

La comparaison différentielle comme démarche heuristique se fonde sur au moins quatre principes épistémologiques. Elle engage celui qui compare 1) à reconnaître les différences des faits ou objets à comparer, 2) à construire un axe de comparaison pertinent, 3) à établir et à configurer des critères (ou plans) de comparaison, 4) à placer les faits ou objets à comparer dans un rapport non-hiérarchique. La première partie de cette étude présente ces principes épistémologiques, la deuxième aborde des aspects de leur mise en pratique en comparant les (ré)écritures du mythe de Médée par Apollonius de Rhodes, Sénèque et Sylvia Plath. La comparaison différentielle montre que l'épopée hellénistique et la tragédie romaine aussi bien que le poème moderne de langue anglaise attribuent des significations différentes et nouvelles au mythe de Médée par les modalités de leur mise en langue et en genre, significations qui ne se réduisent à aucun sens supposé universel du mythe.

Maya BURGER - Une posture inversée: le yoga global (p. 161-188)

L'article expose un comparatisme reposant sur la pratique des regards croisés dont nous postulons la pertinence pour comprendre l'échange d'idées et de pratiques entre l'Inde et l'«Occident». Durant les XIXe et XXe siècles naît l'un des phénomènes de mondialisation les plus intéressants, à savoir l'exportation et la globalisation du yoga indien. Pendant que l'«Occident» s'éveille au yoga spirituel inauguré par Vivekananda (dès 1893), des yogis indiens soumettent leur tradition à l'expérimentation scientifique moderne (années 20). Dans leur ouvrage commun Sport et Yoga (1941/48), Selvarajan Yesudian (le yogi chrétien indien) et Elisabeth Haich (l'ésotériste hongroise) illustrent d'une manière paradigmatique les synthèses créatives qui peuvent s'opérer dans les processus d'échanges pluri-dimensionels et pluri-directionnels entre les traditions indiennes et européennes que seule une posture comparative, capable de faire le va-et-vient entre les deux traditions, est à même de saisir.

Enzo PACE - La méthode généalogique pour une possible comparaison entre le christianisme et l'islam (p. 189-208)

Partant d'un point de vue généalogique selon l'approche de Talal Asad de l'étude comparée de l'islam et du christianisme, l'article essaie de montrer dans quelle mesure il est possible de comparer l'islam et le christianisme en se concentrant sur un objet limité, comme dans une espèce de laboratoire où l'on réalise une expérience néo-weberienne. Le but est de faire une investigation du mouvement de la personnalité mobile religieuse jusqu'à la construction d'un système de croyance, par l'analyse de la généalogie du pouvoir de communication (en tant qu'acte de communication et discipline collective) manié par un leader extra-ordinaire, capable de transformer des matériaux donnés (symboles, rituels, cultes et normes) en un scénario propre, avec la vertu d'improvisation comme input. En appliquant ce schéma à la comparaison des deux figures prophétiques de Jésus et Mahomet, le but final est de montrer les implications méthodologiques de l'approche généalogique dans l'étude de l'évolution d'un système de croyance.

Claude CALAME - L'histoire comparée des religions et la construction d'objets différenciés: entre polythéisme gréco-romain et protestantisme allemand (p. 209-236)

Notamment quand elle est envisagée dans une perspective anthropologique, l'histoire des religions exige un regard décentré; ce décentrement requiert une démarche comparative et critique, ceci à d'autant plus forte raison que les affinités s'avèrent nombreuses entre la méthode adoptée et l'objet qu'elle permet de délimiter. Une incursion dans le polythéisme grec d'une part, dans le christianisme protestant de l'autre, entre religion autre et religion propre, permet de montrer que si l'histoire des religions ne peut échapper à l'orientation que donnent à l'approche choisie autant l'objet choisi que le paradigme dont dépend l'historien anthropologue, en revanche le triangle comparatif peut conduire histoire et sciences des religions à éviter les écueils absolutistes de toute perspective théologique.

ADRESSES DES AUTEURS (p. 237-238)

ÉTUDES DE LETTRES. TABLE DES MATIÈRES 2005 (p. 239-241)

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ISBN 978-2-940331-09-3

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