289 (2011/3-4) Des Fata aux fées: regards croisés de l'Antiquité à nos jours - Edité par Martine Hennard Dutheil de la Rochère et Véronique Dasen

D’où vient l’histoire de La Belle au bois dormant? Qui sont les «fées» présentes lors de la naissance de la petite princesse? Ce volume rassemble des contributions qui rendent compte de l’extraordinaire richesse et complexité de cette vieille histoire que l’on croyait familière, depuis ses lointaines origines dans les cultes et rites de la naissance au Moyen-Orient. Le destin qui se joue au moment de la naissance lie la vie et la parole, et cette association inscrite dans l’étymologie du mot fée s’est manifestée dans l’art, la littérature et la culture occidentale jusqu’à aujourd’hui. Le volume propose des éclairages inédits sur la longue tradition iconographique et littéraire en lien avec La Belle au bois dormant, des reliefs sumériens aux célèbres contes de Perrault et des Grimm, jusqu’à leurs réécritures et adaptations cinématographiques contemporaines.

Where does the Sleeping Beauty tale come from? Who are the «fairies» that preside over the birth of the little princess? This volume collects various essays that bear witness to the extraordinary richness and complexity of this familiar story, starting with ancient Middle-Eastern birth cults and rituals. The fate that is determined at the moment of birth, linking as it does life-span and speech, is woven into the etymology of the word fairy itself, and this connection threads through the history of the tale in Western literature, art and culture from Antiquity to the present day. The volume brings to light the long literary and iconographic tradition related to La Belle au bois dormant/Sleeping Beauty, from Sumerian bas-reliefs to Perrault’s and Grimm’s classic versions of the tale to contemporary rewritings and film adaptations.

SOMMAIRE

Michelle RYAN-SAUTOUR - Préface (p. 9-14)

Martine HENNARD DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, Véronique DASEN - Introduction (p. 15-34)

Autour des Moires et des Parques : cultes, rites, représentations

Constance FRANK - « Le fuseau et la quenouille ». Personnalités divines et humaines participant à la naissance de l’homme et à sa destinée en Mésopotamie ancienne (p. 37-62)

Il est relativement difficile de retracer grâce aux données textuelles les différentes étapes entourant le moment de la naissance. La majorité des textes sont de type incantatoire et visent à faciliter la délivrance de l’enfant en écartant toute action maléfique. Ces litanies invoquent un certain nombre de divinités, en général féminines, dont les fonctions renvoient à celles des protagonistes humains. Dans un premier temps, nous présenterons les textes mythologiques et magiques éclairant les prérogatives, bénéfiques ou néfastes, de ces différents personnages ainsi que leur rôle au moment de l’arrivée d’un nouvel être dont ils peuvent influencer la destinée. Nous analyserons ensuite des images qui appartiennent à la piété populaire et qui nous permettent d’appréhender visuellement le concept d’humanité et de destin en Mésopotamie.

Attempting to draw, thanks to the textual data, the successive stages surrounding birth is arduous. Written sources are mostly incantations and relate to easing difficult births or repelling the evil eye. These litanies usually invoke goddesses whose prerogatives are similar to those of human protagonists. We will first present mythological and magical texts expressing the good or evil characteristics of the supernatural entities associated with birth and destiny. We will then examine the iconographical data relating to popular beliefs which provide visual evidence of the concept of humanity and destiny in ancient Mesopotamia.

Cathie SPIESER - Meskhenet et les sept Hathors en Egypte ancienne (p. 63-92)

Dans la littérature égyptienne, le papyrus Westcar relate l’intervention déterminante des déesses Isis et Meskhenet pour le destin du nouveau-né. D’autres divinités, apparaissant dans différentes sources, jouent un rôle très important dans la naissance, la protection, la destinée et la durée de vie. A partir du Nouvel Empire et jusqu’à l’époque ptolémaïque, Hathor et Meskhenet se démultiplient pour former des collèges divins d’avatars qui, par leur nombre, accroissent leur puissance magique, mais aussi leur nature ambivalente et redoutable. Bien qu’elles n’en soient pas, elles agissent à la manière de « fées » veillant sur le nouveau-né. Comment s’articulent, dans les sources à disposition, les phases de la naissance de l’enfant royal ? Quelles pratiques sociales et rites de passage se reflètent à travers ces sources ?

In Egyptian literature, the Westcar Papyrus describes the decisive action of the goddesses Isis and Meskhenet for the newborn child’s destiny. In various sources, other divinities play an important role in birth, protection, destiny, and determining lifespan. From the New Kingdom to the Ptolemaic period, Hathor and Meskhenet form groups of numerous entities whose specific number increases their magic power and their ambivalent and terrifying nature required for the protection of the newborn child. The goddesses are not fairies but they act in a very similar way. How are the different steps of royal childbirth tied together ? What kind of social practices and rites of passage seem to be reflected in these sources ?

Vinciane PIRENNE-DELFORGE, Gabriella PIRONTI - Les Moires entre la naissance et la mort : de la représentation au culte (p. 93-114)

En Grèce ancienne, les Moires sont les puissances divines de la « part » qui revient à chacun et les récits mythiques qui les mettent en scène les associent de façon privilégiée à la naissance et à la mort. Dans leurs figures traditionnelles de fileuses et de tisserandes, ces déesses président au déroulement de la vie de chacun et aux dessins variés qui constituent la trame de la vie. Quant aux attestations de culte rendu aux Moires, elles sont peu nombreuses et peu explicites sur les attentes des fidèles qui les honoraient. Toutefois, les mythes et les rites ne sont pas des ensembles étanches, mais des langages spécifiques qui entrent en résonance dans l’univers mental de ceux qui racontaient les récits et accomplissaient les gestes rituels. Ces deux aspects du savoir grec sur les Moires sont donc étroitement liés et étudiés comme tels dans la présente analyse. Puissances de distribution, de rétribution et de régulation, les Moires sont solidaires de l’équilibre garanti par l’autorité souveraine de Zeus sur un plan mythique et contribuent tout autant à un tel équilibre au sein des communautés humaines.

In ancient Greece, Moirai are divine powers related to the “ share ” of life that everyone receives at birth. They appear mainly in mythic tales in connection with birth and death. As traditional spinners and weavers, these goddesses rule over everyone’s life course and the various patterns of the life’s fabric. Cult evidence related to the Moirai is neither numerous nor explicit about their worshippers’ expectations. Nevertheless, myths and rituals are not unrelated: rather, they form specific discourses that resonate in the minds of the poets who narrated tales and the worshippers who performed rituals. Both aspects of the Greek knowledge about Moirai are closely interconnected and studied as such in the present work. As powers of distribution, reward and regulation, Moirai interact with the stability warranted by Zeus’ authority on a mythical level and also partake in such a balance within human communities. 

Véronique DASEN - Le pouvoir des femmes : des Parques aux Matres (p. 115-146)

Qui possède le droit de vie et de mort sur le nouveau-né ? Quand l’enfant reçoit-il une première identité ? L’examen du rôle de la sage-femme dans le monde romain remet en question de nombreuses idées reçues. En coupant le cordon, la sage-femme assure le passage du nouveau-né dans le monde des vivants sous le regard de divinités qui confèrent à son geste une valeur rituelle. Bien avant le jour de nomination, une semaine après la naissance, un premier cycle est bouclé quand on procède au premier bain qui intègre l’enfant ici-bas. Loin d’être soumises au contrôle d’un pater familias tout-puissant, ce sont les femmes, humaines et divines, qui président à l’entrée dans la vie.

Who possesses the power of life and death over the newborn baby? When does the child receive a first identity? The study of the midwife’s role in the Roman world questions many commonplaces relating to the role of the father at birth. The midwife ensures the passage of the newborn child into the realm of the living by cutting the umbilical cord. She acts under the gaze of goddesses who reveal the ritual value of her gesture. Before the naming day, which takes place a week after birth, a first cycle is completed with the first bath that integrates the child in this world. Far from being controlled by an omnipotent pater familias, human and divine women rule over the entry of the child into life. 

Des déesses antiques aux fées modernes : réécritures littéraires

Jacqueline FABRE-SERRIS - L’histoire de Méléagre vue par Ovide ou de quoi le tison des Parques est-il l’emblème ? (p. 149-166)

S’inspirant de la technique narrative des mythographes, Ovide raconte l’histoire de Méléagre d’une façon linéaire, sous la forme de séquences conçues et enchaînées de façon à donner une cohérence à l’existence de ce héros épique. La construction narrative met en évidence l’importance du rôle joué dans la vie de Méléagre par les femmes : Diane, Atalante, sa mère, ses sœurs. Le tison magique auquel sa vie est attachée est l’image de cette domination dont Méléagre n’a pas conscience. Donné par les Parques à sa mère, à qui elles délèguent leur droit d’impartir une durée à la vie humaine, il est l’emblème de ces liens invisibles et tout-puissants que chaque homme a, de sa naissance à sa mort, avec les femmes de sa famille, les unes et les autres étant plus ou moins interchangeables.

Influenced by the narrative techniques of the mythographers, Ovid tells the story of Meleager in a linear way, by elaborating and connecting various sequences with the purpose of giving a consistency to the life of this epic hero. The narrative construction underlines the role played by women in the life of Meleager : Diana, Atalanta, his mother and his sisters. The magic brand to which his life is attached is the image of this dependence, of which Meleager isn’t aware. Given by the Parcae to his mother, to whom they delegate their power of determining the lifespan of man, the brand is the symbol of these invisible and powerful links that each man has, from his birth to his death, with the women of his family, all of them being, more or less, interchangeable. 

Jean-Claude MÜHLETHALER - Translittérations féeriques au Moyen Age : de Mélior à Mélusine, entre histoire et fiction (p. 167-190)

Déjà le récit de Cupidon et Psyché dans l’Asinus aureus pose le problème du genre de cette histoire enchâssée, racontée par une vieille – est-ce un mythe ou une fable philosophique ? – et, par voie de conséquence, celui du statut même des dieux qui y interviennent. Qu’on voie dans Partenopeu de Blois un lointain avatar du récit d’Apulée, dans lequel la fée se substitue à Cupidon, ou qu’on le rattache au folklore (celtique), la question est sensiblement la même au XIIe siècle : les auteurs médiévaux croyaient-ils aux « êtres faés » ou ceux-ci étaient-ils à leurs yeux les acteurs imposés par le choix d’un certain univers fictionnel ? Si la critique est fondamentalement d’accord pour parler d’une « rationalisation » ou d’une « moralisation » de la fée, la démarche par laquelle l’écrivain médiéval adapte et actualise le matériau issu d’une tradition est susceptible de subtiles variations : la « réécriture » est chaque fois tributaire du projet d’écriture respectif, qu’il s’agisse de Partenopeu de Blois ou du lai de Guigemar de Marie de France. Au-delà du statut de la fée et de l’altérité qu’elle représente, c’est le statut même de la femme et du héros qui sont en cause, leur place et leur fonction au sein de la société féodale. La « translittération » de parcours narratifs stéréotypés, voire universaux, n’a ici rien à voir avec la récupération politique du folklore, transmis par voie orale, à laquelle s’attelle, quelque deux siècles plus tard, Jean d’Arras dans sa Mélusine : il extrait la légende de la fée poitevine du domaine de la fabula en inscrivant la merveille dans l’histoire, la région et l’expérience vécue pour légitimer les droits du duc de Berry sur Lusignan.

From the embedded story told by an elderly woman in Apuleius’s Asinus aureus onward, the generic status of the tale of Cupid and Psyche has been subject to debate : is it a myth or a philosophical fable ? Relatedly, what is the status of the gods depicted in this story ? Whether Partenopeu de Blois is read as a remote version of Apuleius’s narrative, in which the fairy takes the place of Cupid, or is linked to (Celtic) folklore, the question essentially remains the same in the 12th century : did medieval authors actually believe in fairies or did the supernatural creatures merely belong to the set of characters imposed by the choice of a certain fictional universe ? Although the critical consensus is that the medieval authors tended to rationalise and moralise the traditional literary material that they adapted and reworked, such texts as Partenopeu de Blois or the lai of Guigemar by Mary of France reflect an individual writing project. Through the other world represented by the fairy, the status of wonder, as well as the place and function of the woman and the hero in a feudal society, is centrally raised. However, the “ transliteration ” of well-known or even universal narrative structures markedly differs from the political use of orally transmitted folklore that Jean d’Arras carries out two centuries later in his Mélusine. Indeed, he takes the legend of the fish-tailed Poitevin fairy out of the realm of the fabula and transposes it in the history of his region and of lived experience in order to justify the duke Jean of Berry’s claims over Lusignan. 

Noémie CHARDONNENS - D’un imaginaire à l’autre : la belle endormie du Roman de Perceforest et son fils (p. 191-204)

Roman arthurien en prose de la fin du Moyen Age, le Roman de Perceforest propose l’une des premières versions littéraires de l’histoire de la Belle Endormie. Plusieurs figures surnaturelles interviennent à l’occasion de la naissance de l’héroïne et de son fils dans cet épisode. L’imaginaire de la naissance et de la petite enfance s’inspire du folklore et des croyances populaires, mais il participe aussi d’une logique romanesque issue des romans arthuriens antérieurs. Nous montrerons que cette dernière laisse deviner la raison d’être de l’épisode.

An Arthurian romance in prose dating from the late Middle Ages, the Roman de Perceforest offers one of the first literary versions of the tale of Sleeping Beauty. Several supernatural figures are present at the birth of the heroine and her son. Both episodes which draw on popular beliefs about birth and early childhood, as well as on literary sources and romance conventions borrowed from previous Arthurian romances. This article demonstrates that the main purpose of these episodes is informed by the latter. 

Ute HEIDMANN - Tisserandes fatales (Apulée) et Fées de Cour (Perrault). Le sort difficile d’une Belle « née pour être couronnée » (p. 205-220)

Cette étude s’attache à analyser la façon dont Charles Perrault conçoit La Belle au bois dormant en « reconfigurant » le conte ancien de Psyché inséré dans les Métamorphoses d’Apulée. Dans un « dialogue intertextuel » très subtil avec la célèbre fabella, Perrault crée un conte moderne qui tire ses effets de sens des différences très subtiles qu’il introduit par rapport à cet intertexte. C’est par le biais d’une analyse comparative proche de la lettre des textes dans leur forme et langue d’origine que ces différences apparaissent et prennent leur signification. Une telle analyse montre que le rôle que les fées prennent dans le destin de la Belle est plus ambigu qu’il n’y paraît à première vue. Le conte s’avère en fait sous-tendu par une vision très critique de la société aristocratique qui destine ses filles à des princes inconnus à la généalogie douteuse (susceptibles d’avoir des mères « de race Ogresse »). Ce sens caché et subversif « se découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui le[s] lisent », comme le recommande l’épître dédicatoire à Mademoiselle, nièce de Louis XIV et « née pour être couronnée », elle-même victime potentielle de la politique maritale dénoncée.

This article shows how Charles Perrault conceives La Belle au bois dormant by way of a complex “ intertextual dialogue ” with the latin fabella of Psyche in the Metamorphoses of Apuleius. In his artful “ reconfiguration ” of the ancient tale, the French author creates a resolutely modern tale, which draws its signification from the very subtle differences introduced into the plot of the new story. These significant differences appear in a precise comparative and “ differential ” analysis of both texts to be considered in their original form and language. Such comparative analysis shows that the part played by the fairies in Perrault’s tale is more ambivalent than it seems at first sight. It actually reveals a very critical view on the aristocratic society of Perrault’s own time that dedicates its daughters to unknown princes with dangerous family backgrounds for the sake of dynasty. The hidden subversive meaning of the tale has to be discovered by the reader himself who is invited to read the tale with a certain “ degree of penetration ” as required in the epistle from Mademoiselle to whom Perrault dedicates his prose tales.

Sylvie BALLESTRA-PUECH - Du fil des Parques au fil des fées : la fabrique du conte dans « Serpentin vert » de Madame d’Aulnoy (p. 221-242)

Dans le conte « Serpentin vert » de Marie-Catherine d’Aulnoy, l’épreuve du filage imposée à l’héroïne par la fée Magotine, qui assume le rôle de Vénus dans le conte d’Amour et Psyché, loin d’être imputable à la seule fantaisie de la conteuse, témoigne du jeu intertextuel très subtil qui caractérise ce conte et en fait un manifeste esthétique. Ce motif se justifie d’abord en tant que réminiscence du texte d’Apulée et de sa réécriture par La Fontaine, Les Amours de Psyché et Cupidon. En suggérant que son héroïne doit filer son propre destin et celui de son amant, Marie-Catherine d’Aulnoy condense en une image son interprétation de Psyché comme « belle farouche », tout en exploitant les riches potentialités symboliques du fil. La figure d’Arachné s’associe à celle de la Parque pour symboliser le passage du fil du destin à celui de l’écriture.

In Marie-Catherine d’Aulnoy’s “ The Green Serpent ”, the fairy Magotine, taking up the role of Venus in Apuleius’s tale of Eros and Psyche, sets up very difficult trials for the heroine Laidronnette. The task of spinning, in particular, reveals the subtle intertextual play that makes this tale a programmatic tale. The motif alludes to Apuleius’s Golden Ass as well as to La Fontaine’s own rewriting of the classic tale in Les Amours de Psyché et Cupidon. Laidronnette, as far as she must spin not only her own fate but also the fate of her lover, embodies d’Aulnoy’s reinterpretation of Psyche as an “ inexorable beauty ” who refuses to give in to love. The author also mobilizes the mythological and symbolic resonances of thread, insofar as Laidronnette combines the features of both a Fate and the weaver Arachne : in this sense, the thread of life becomes indistinguishable from the thread of writing. 

Magali MONNIER - Naissance et renaissance du conte de fées : de Marie-Catherine d’Aulnoy à Angela Carter (p. 243-258)

Cet article propose une lecture croisée de la dimension métapoétique dans « Gracieuse et Percinet » et « La Chatte blanche » de Marie-Catherine d’Aulnoy, auteure française du XVIIe siècle, et dans « The Courtship of Mr Lyon » de Angela Carter, une réécriture moderne « féministe » de « La Belle et la Bête » qui rend aussi hommage à d’Aulnoy. L’analyse comparative montre que ces textes sont liés par un dialogue intertextuel qui porte sur des éléments à la fois thématiques et esthétiques, et qu’ils partagent une même préoccupation pour le genre littéraire en relation avec la politique de genre (gender politics). Ainsi, ces textes représentent le genre du conte de fées comme un espace féminin privilégié, que d’Aulnoy inaugure et dont Carter assure à la fois la continuité et le renouvellement au XXe siècle en filant la métaphore architecturale du palais de féerie chère à d’Aulnoy.

This article analyses the metapoetic dimension in Marie-Catherine d’Aulnoy’s 17th-century French contes “ Gracieuse et Percinet ” and “ La Chatte Blanche ”, and in Angela Carter’s “ The Courtship of Mr Lyon ”, a “ feminist ” variation on Beauty and the Beast which also pays homage to d’Aulnoy as a pioneer figure and founder of the genre. The comparative analysis shows that these texts are linked intertextually, thematically and aesthetically through the architectural metaphor of the fairy palace as a privileged feminine space. They share a concern for gender politics and its relation to the literary genre of the fairy tale which emerged with d’Aulnoy and which Carter contributed to renew in the 20th century.

Cyrille FRANÇOIS - Fées et weise Frauen : les faiseuses de dons chez Perrault et les Grimm, du merveilleux rationalisé au merveilleux naturalisé (p. 259-278)

Dans « La Belle au bois dormant » et « Dornröschen », des personnages aux pouvoirs magiques déterminent l’avenir des héroïnes en leur accordant des dons positifs ou négatifs. La comparaison des textes montre toutefois que les fées et les weise Frauen (femmes sages), issues de traditions différentes, ne jouent pas les mêmes rôles dans les intrigues et que leurs actions ne sont pas présentées de la même manière. Si le conte de Perrault explique les motivations des fées et en fait des êtres réfléchis, le Märchen des Grimm représente les weise Frauen comme des figures énigmatiques appartenant à un univers où se déroulent des événements inexpliqués. Ainsi, le traitement de ces personnages féminins emblématiques reflète une volonté de rationaliser le merveilleux chez Perrault, contrairement aux Grimm, et témoigne ainsi de différences génériques, mais aussi historiques et culturelles plus larges.

Both in “ La Belle au bois dormant ” and in “ Dornröschen ”, characters with magical powers determine the future of the heroines by endowing them with positive or negative gifts. The comparison of the two texts nonetheless shows that the fées (fairies) and the weise Frauen (wise women) – coming as they do from different cultural traditions – do not play the same role in the plot, nor are their actions presented in the same way. Whereas Perrault’s conte explains the fairies’ motivations and portrays them as rational beings, Grimm’s Märchen depicts weise Frauen as mysterious women who belong to a universe of unexplained events. The treatment of these wondrous feminine figures thus testifies to a willingness to rationalise the marvellous in Perrault, and to present it as self-evident in Grimm, thereby reflecting generic as well as broader historical and cultural differences. 

Donald HAASE - Kiss and Tell : Orality, Narrative, and the Power of Words in « Sleeping Beauty » (p. 279-296)

The metafictional nature of the Sleeping Beauty tale has gone largely unappreciated. Underlying the story’s obvious themes and motifs – birth, death/sleep, rebirth – and complicating its gender dynamic is a preoccupation with orality and telling that gives the story a significant self-reflective dimension. This article examines how the tale reflects on storytelling and the medium of its telling, not only in the classical versions by Perrault and Grimm, but also in the Roman de Perceforest and Disney’s animated film.

La dimension métafictionnelle du conte de la Belle au bois dormant a été largement ignorée jusqu’ici. Sous-tendant les thèmes et motifs caractéristiques de cette histoire – comme la naissance, la mort/le sommeil, la renaissance – et compliquant la dynamique de genre qui lie les personnages masculins et féminins, on décèle une tension entre oralité et écriture qui confère à ce conte une dimension auto-réflexive très significative. Cet article examine comment l’activité et la manière de raconter une histoire sont représentées non seulement dans les versions classiques de Perrault et de Grimm, mais aussi dans le Roman de Perceforest qui les inspire et, au XXe siècle, dans le dessin animé de Disney. 

Transmission culturelle : paroles, textes, images

Philippe KAENEL - Féerique et macabre : l’art de Gustave Doré (p. 299-320)

Gustave Doré (1832-1883) est l’un des grands pourvoyeurs de visions du XIXe siècle. Dès les années 1850, il se donne pour objectif d’illustrer tous les classiques de la littérature occidentale, de la Bible à Edgar Allan Poe en passant par Dante, Cervantès, Perrault, La Fontaine, Tennyson, etc. Souvent associées au merveilleux, au monde des fées, à l’imaginaire, à la caricature, ses créations basculent fréquemment dans le macabre et le sanguinaire ainsi que le révèle sa fascination pour le thème de la Mort d’Orphée. En sculpture, La Parque et l’Amour, présentée au Salon de 1877, réunit Eros et Thanatos : une association qui se place au cœur de l’œuvre tardif d’un artiste à la fois hyperactif et mélancolique.

Gustave Doré (1832-1883) is one of the great suppliers of visions in the XIXth century. From the 1850s on, he undertook to illustrate the classics of western literature, from the Bible to Edgar Allan Poe, including Dante, Cervantes, Perrault, La Fontaine, Tennyson among others. He has often been associated with the marvellous, the world of fairies, fantasy and caricature, but his work often places emphasis on macabre and bloody subjects as revealed by his fascination for the theme of the death of Orpheus. His sculpture Parque et l’Amour presented at the 1877 Salon shows Eros et Thanatos whose association is at the very core of the late work of this hyperactive and melancholic artist. 

Michel VIEGNES - La force au féminin dans le conte merveilleux fin-de-siècle (p. 321-336)

Dans plusieurs pays d’Europe, et en France en particulier, les deux dernières décennies du XIXe siècle présentent un paradoxe bien connu : alors que triomphe le positivisme, la littérature et les arts, pour une large part, se tournent vers des mondes imaginaires souvent marqués par l’esthétique décadente du pervers et du morbide. Le genre du conte merveilleux, et même plus spécifiquement du conte de fées est remis à l’honneur par des poètes tels que Théodore de Banville, Catulle Mendès, Henri de Régnier, et des prosateurs comme Marcel Schwob. Sous la forme de la fée, de la femme-enfant ou de la princesse faussement ingénue, le personnage féminin s’y montre souvent redoutable, et presque toujours détenteur d’un savoir ou de facultés qui transforment les soi-disant représentantes du sexe faible en « femmes fatales » ambivalentes, simultanément fées et démones, muses à la fois séduisantes, étranges et vaguement menaçantes.

In many European countries, especially in France, the last decades of the nineteenth century present a well-known paradox : fin-de-siècle culture marks the triumph of positivism but also a fascination for imagination and fantasy in literature and the arts. In particular, the decadent aesthetics characteristic of the period reflects a taste for perversity and the macabre. The genre of the marvellous (conte merveilleux), and the fairy tale in particular, comes back in fashion with poets such as Théodore de Banville, Catulle Mendès, Henri de Régnier, and prose writers like Marcel Schwob. Under the guise of the fairy, the nymphet (femme-enfant) or the coy princess, the young female characters that haunt decadent fairy tales turn out to be much more powerful and vaguely threatening than they seem/look. They are almost always represented as a repository of knowledge or as possessing peculiar abilities that transform the alleged representatives of the weaker sex into ambivalent “ femmes fatales ”, both fairies and daemons; attractive, strange and vaguely threatening muses. 

Martine HENNARD DUTHEIL DE LA ROCHÈRE - Conjuring the Curse of Repetition or Sleeping Beauty Revamped : Angela Carter’s Vampirella and The Lady of the House of Love (p. 337-358)

This article illustrates Angela Carter’s literary practice through her utilization of “ Sleeping Beauty ” in the radio play Vampirella and its prose variation The Lady of the House of Love. It argues that Carter vampirised European culture as she transfused old stories into new bodies to give them new life and bite. Her experiments with forms, genres and mediums in her vampire fiction capture the inherent hybridity of the fairy tale as it sheds new light on her main source, Charles Perrault’s La Belle au bois dormant, bringing to the fore the horror and terror as well as the textual ambiguities of the French conte that were gradually obscured in favor of the romance element. Carter’s vampire stories thus trace the “ dark ” underside of the reception of the tale in Gothic fiction and in the subculture of comic books and Hammer films so popular in the 1970s, where the Sleeping Beauty figure is revived as a femme fatale or vamp who takes her fate in her own hands.

Cet article illustre la démarche littéraire d’Angela Carter à partir de deux réécritures de La Belle au bois dormant: la pièce radiophonique Vampirella et sa réécriture en prose The Lady of the House of Love. Carter vampirise la culture européenne en fusionnant ces vieilles histoires et en les transfusant dans de nouvelles formes, genres, et médias pour leur donner une nouvelle vie, et davantage de mordant. Son traitement du conte de fée révèle ainsi l’hybridité constitutive du genre en offrant un éclairage inédit sur le conte de Perrault. Carter met en évidence les éléments «horrifiques» de la deuxième partie du conte et les ambiguités du texte français qui sont souvent négligés au profit de la veine romanesque. Ses histoires de vampire peuvent donc se lire comme une réflexion sur la réception «obscure» du conte de fées dans la culture populaire, qui voit le personnage de la Belle au bois dormant prendre son destin en main et se réinventer en femme fatale ou vamp dans la bande dessinée et les séries B des années 1970.

Elizabeth Wanning HARRIES - Old Men and Comatose Virgins : Nobel Prize Winners rewriet « Sleeping Beauty » (p. 359-378)

The ancient story of “ Sleeping Beauty ” revolves around the awakening of a young princess whose long sleep is the result of a fairy’s curse. In some recent versions of the tale, however – notably by Yasunari Kawabata in  House of the Sleeping Beauties  (1961) and Gabriel García Márquez in Memories of My Melancholy Whores (2004) – the girls never wake up. Rather they give new life to the old men who watch and fondle them in their drugged state. In these novels young women continue to be represented as desirable ciphers. They also continue to be manipulated by older women (brothel keepers, replacing the traditional fairies) who determine their fate. But the central focus has become the old men themselves, their fear of aging, and their obsession with the comatose girls.

“ La Belle au bois dormant ” raconte l’histoire d’une jeune princesse qui se réveille après un long sommeil provoqué par la malédiction d’une fée. Toutefois, dans certaines versions récentes du conte – notamment de Yasunari Kawabata dans House of the Sleeping Beauties (1961) et de Gabriel García Márquez dans Memories of My Melancholy Whores (2004) – les jeunes filles ne se réveillent pas. En revanche, elles donnent une nouvelle vie aux vieux messieurs qui les regardent et les caressent alors qu’elles sont plongées dans un sommeil provoqué par des drogues. Dans ces romans, les jeunes filles sont représentées comme des poupées désirables mais sans personnalité ni individualité. Elles sont manipulées par des femmes plus âgées, patronnes de maisons closes qui remplacent les fées traditionnelles et déterminent leurs destins. Or, ces romans déplacent l’attention de la jeune fille endormie sur les vieillards eux-mêmes, sur leur peur de la vieillesse, et sur leur obsession des belles endormies. 

Sylvie RAVUSSIN - La disparition des fées dans El verdadero final de la Bella Durmiente d’Ana María Matute (p. 379-398)

Cet article se propose d’étudier la façon dont Ana María Matute réécrit et adapte La Belle au bois dormant de Charles Perrault pour la jeunesse dans El verdadero final de la Bella Durmiente. L’écrivaine espagnole transforme le conte français de la fin du XVIIe siècle en un cuento espagnol du XXe siècle, en recourant notamment au fantastique. Cette « reconfiguration générique » se traduit par la disparition du merveilleux et du personnage de la fée pour signaler la perte de l’enfance et les sombres réalités de l’Espagne sous le régime franquiste. Sa réécriture s’inscrit ainsi dans un projet poétique élaboré sur une longue période, dans le prolongement de Primera memoria, le roman le plus connu de Matute.

This article examines how Ana María Matute reconfigures Charles Perrault’s La Belle au bois dormant and adapts it for young readers in El verdadero final de la Bella Durmiente. The Spanish author transposes the French seventeenth-century conte into a different cultural context : she turns the fairy-tale romance into a twentieth-century cuento that captures the loss of childhood insouciance and the sinister realities of the Franco regime through the shift from the marvellous to dark fantasy, and the disappearance of the fairy. As such, her rewriting becomes part of a long-standing poetic project that is closely connected to Matute’s best-known novel, Primera memoria

Martine HENNARD DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, Géraldine VIRET - Sleeping Beauty in Chelmno : Jane Yolen’s Briar Rose or Breaking the Spell of Silence (p. 399-424)

This article analyses Jane Yolen’s Briar Rose from the perspective of trauma studies as a novelistic transposition of “ Sleeping Beauty ” in the context of the Holocaust. It argues that the fairy tale fulfils a key psychological and even existential role for the fictional survivor of the extermination camp, but also a pedagogical, moral and political one through the figure of the cowitness central to the economy of the novel. Through Becca’s recovery of the biographical elements underlying her grandmother’s retelling of the story, Yolen shows how the fairy tale can serve to communicate traumatic personal memories and transmit collective cultural knowledge to counter the disappearance of first-hand witnesses.

Cet article analyse le recours au conte de fées dans un roman récent de Jane Yolen, Briar Rose, qui transpose le conte de La Belle au bois dormant dans le contexte de l’Holocauste. A partir des études sur le traumatisme (trauma studies), il montre comment le conte de fées remplit plusieurs rôles: psychologique voire existentiel pour la survivante du camp, mais aussi didactique, politique et moral à travers la figure du co-témoin placée au cœur du dispositif narratif. Yolen fait ainsi appel à deux genres, le conte et la littérature de jeunesse sur l’Holocauste comme outils pédagogiques qui permettent la transmission d’une mémoire individuelle et collective douloureuse, et abordent la question épineuse de la fictionnalisation de l’histoire quand disparaissent les témoins directs. 

Adresses des auteurs (p. 425-426)

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ISBN 978-2-940331-26-0

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